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Reconstruire la ville sur la ville : la contrainte foncière, moteur d’innovation urbaine
Par Michael Violet, directeur commercial de SYNAPSE Construction
Face à la raréfaction du foncier, la construction ne peut plus agrandir la ville indéfiniment. La loi ZAN rebat les cartes. Mais elle ouvre aussi la voie à des solutions inventives, durables et techniquement éprouvées. Et si le vrai levier d’innovation se trouvait désormais dans l’existant ?
Construire en ville, sans étendre la ville
La loi ZAN (Zéro Artificialisation Nette) acte un changement profond dans notre manière de penser l’aménagement du territoire. Certes la ville ne peut plus s’étendre, mais le droit à bâtir n’a pas disparu. Construire sans foncier, ce n’est pas construire moins. C’est construire ailleurs, autrement, construire mieux. En somme, construire impose de transformer l’existant, d’optimiser ce qui est déjà là. Avec plus d’attention, de précision, d’agilité technique et réglementaire.
C’est un bouleversement, sans doute. Pour les aménageurs, les élus, les promoteurs, les bailleurs, pour tous les acteurs de la construction. Mais, je constate heureusement que cette contrainte est de plus en plus perçue comme un déclencheur. Ce nouveau contexte nous impose de mobiliser plusieurs stratégies complémentaires. Face à la raréfaction du foncier, plusieurs solutions émergent pour construire quand on ne peut pas s’étaler.
Construire sans foncier : quatre leviers pour faire autrement.
1. Surélever
La surélévation est encore aujourd’hui perçue comme longue, complexe et coûteuse. Pourtant, elle permet d’augmenter significativement la surface d’un projet sans emprise supplémentaire au sol. C’est aussi une occasion unique de concevoir des ouvrages à la fois esthétiques, durables et innovants, sans défigurer l’existant. Le bois, matériau léger par excellence, ouvre la voie à des conceptions architecturales audacieuses tout en répondant aux exigences de performance environnementale. Il apporte également des atouts concrets en raison de la rapidité de mise en œuvre, de la légèreté du matériau et des possibilités architecturales offertes. Cela offre par ailleurs l’occasion de valoriser l’espace en toiture avec la création d’un rooftop, comme à Paris 8 sur un projet de transformation de bureaux en logements que nous avons suivi avec Cyril Durand Béhar architecture.
2. Densifier
La densification est un levier incontournable pour construire sans foncier disponible. Elle consiste à mieux utiliser l’espace existant : combler les dents creuses, réinvestir les cours d’îlot, empiler les fonctions urbaines. Cela exige une réflexion plus fine sur la conception des espaces, une anticipation des usages et une coordination renforcée entre les acteurs. Et dans bien des cas, cela permet de faire émerger de nouvelles formes urbaines plus efficaces, plus mixtes et souvent plus conviviales.
Nous avons, par exemple, accompagné Ataub architecture sur la réalisation du groupe scolaire Audrey Hepburn pour la Ville de Lyon, un établissement 100 % bois construit sur quatre niveaux au sein d’un tissu urbain contraint. Cette configuration, rare pour une école, a nécessité un vrai changement de paradigme, tant en matière de conception que d’acceptabilité. Il s’agissait, là, de combler une dent creuse. C’est grâce à l’engagement de la Ville et à l’expertise mobilisée collectivement que ce projet a pu voir le jour. Il démontre qu’il est possible de faire mieux, et plus, sans consommer davantage de sol.
3. Transformer
Composer avec l’existant, c’est une autre manière de concevoir, qui oblige à faire avec des contraintes, mais qui ouvre aussi à des solutions architecturales inédites, contextuelles et durables. À Lyon, la transformation de l’ancien restaurant universitaire du CROUS Allix en résidence étudiante en est une belle illustration. Le projet de XT’O & ARCHIPAT a tiré parti des qualités spatiales du bâti existant, notamment sa grande hauteur sous plafond et sa structure poteaux-poutres, pour y insérer des aménagements contemporains sans altérer son identité. Des éléments de façade ont été reconçus pour améliorer les performances thermiques tout en conservant l’esprit d’origine. Pour les architectes XTO et ArchiPat, il a fallu adapter, réviser, repenser l’usage, mais aussi orchestrer une intégration harmonieuse entre mémoire architecturale et exigences d’usage contemporaines. Le résultat est là : sobre, fonctionnel, enraciné dans son époque et fidèle à l’histoire du lieu.
La transformation de l’ancienne école maternelle Paul Dubois à Paris en cuisine centrale avec RH + est également un bon exemple de transformation réussie dans un espace contraint. Le bâtiment, en secteur ABF, soumis à une obligation patrimoniale sur les façades et toitures, a été transformé et adapté pour recevoir l’activité de cuisine centrale tout en assurant une optimisation énergétique rigoureuse.
4. Reconvertir les friches
Les friches industrielles et tertiaires sont partout. Leur potentiel urbain reste largement sous-exploité. Bien que l’on perçoive intuitivement l’intérêt de ces emprises disponibles, leur valorisation est souvent perçue comme complexe. Elle nécessite une réflexion globale : sur les usages, les mobilités, les services, les flux, et bien sûr sur les impacts environnementaux et sociaux. Sans cette approche intégrée, difficile de transformer ces potentiels en projets viables et désirables.
À Mâcon, la reconversion d’un ancien site industriel en Cité de l’Entreprise de la Ville de Mâcon que nous avons menée avec AA Group témoigne de cette démarche. Le site a été repensé pour accueillir des activités tertiaires et de formation, dans un cadre à la fois performant sur le plan énergétique et porteur d’identité. Une opération qui montre que les friches peuvent devenir des pôles structurants, quand elles sont abordées avec méthode et ambition.
Faire évoluer les modèles
Parfois, les freins ne sont pas uniquement techniques. Ils sont aussi culturels et politiques. Il faut penser autrement la manière d’occuper et de partager les espaces. La tendance est d’aller sur une notion de partage des espaces. On l’a vu notamment en ce qui concerne les RIE, ces grands espaces de restauration en entreprises qui étaient habitées seulement quelques heures par jour. Désormais, on cherche à rationaliser, le foncier et les usages. Un espace est RIE de 11 à 15H et le reste du temps, il est espace de travail et de créativité. On va également sur de la simultanéité des usages : le fait par exemple d’intégrer une crèche à une résidence autonomie, comme sur le projet au Valdahon (25) – architecture SOHO et AACT+. De plus en plus, on cherche à créer des lieux ouverts, des lieux hybrides, mixtes, voire des tiers lieux, ceux que l’on n’arrive plus à qualifier et c’est ce qui fait la beauté des bâtiments à construire.
Finalement, quels sont les freins, s’ils ne sont pas techniques ? Certes les montages peuvent être complexes, mais pas impossibles. La nécessité de faire évoluer ces modèles s’impose peu à peu. Certaines collectivités amorcent déjà ce virage parce qu’elles sont confrontées à une réalité de terrain : le foncier manque, les besoins évoluent.
Chez SYNAPSE, notre rôle est justement d’apporter un conseil et des solutions techniques. Apporter le cadre, les études, les outils pour transformer une contrainte en projet concret, équilibré, pertinent et adapté aux nouveaux usages.
En conclusion, construire autrement, c’est possible
On le sait, la ville ne pourra plus croître par extension, mais en s’élevant, en se densifiant, en se transformant et en se reconvertissant. Et les quatre sont souvent complémentaires. Les contraintes foncières ne sont pas insurmontables. Ce changement, je le vois déjà à l’œuvre dans les projets que nous étudions et livrons. Il n’a rien d’utopique. Il demande de la méthode, de l’engagement, et surtout de la coopération. Car reconstruire la ville sur la ville, cela ne se fait jamais seul, sans volonté ou vision partagée.